sabato, Novembre 23, 2024

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Neuf ans après le meurtre non résolu de Chokri Belaïd

À Tunis tous les mercredis, on manifeste pour demander justice

Texte de Laura Sestini – Traduction Italien-Français par Anna Ciulli

Neuf ans se sont écoulés depuis le matin du 6 février 2013, lorsque l’avocat et homme politique tunisien Chokri Belaïd a été tué dans une embuscade armée devant son domicile à El Menzah, un quartier de la capitale Tunis, sur le point de monter dans la voiture pour se rendre au travail. Des coups de feu à bout portant l’ont réduit en fin de vie – il est décédé peu de temps après son arrivée à l’hôpital.

L’odeur des manifestations de 2011, la soi-disant révolution tunisienne qui avait conduit à la destitution de Zine El-Abidine Ben Ali, était encore dans l’air, mais entre-temps les premières élections libres avaient eu lieu – le 23 octobre 2011 – pour voter pour l’Assemblée constitutionnelle.  À cette époque, le pouvoir était dans le mains du parti de la majorité, le parti idéologique islamique Ennahdha, dont le chef est Rachid Ghannouchi,  souvent accusé, lui et son parti, de corruption et responsable de l’infirmité du gouvernement,  ainsi que de la dérive islamiste par la voix des partis d’opposition laïques. Oui, parce qu’Ennahdha a présidé – en nombre de députés – la majorité des gouvernements tunisiens, huit au total, presque un par an, après la chute de la dictature qui a duré 23 ans, et les manifestations populaires de 2011.

Cette précarité politique s’est poursuivie jusqu’à ce que le président Kaïs Saïed, le 25 juillet, décide soudainement de sceller le Parlement et de décréter une sorte d’état d’urgence doux.

Il est clair que la Tunisie était un pays en difficulté économique avant même la pandémie ;   avec l’arrivée de l’urgence sanitaire, les problèmes politiques, sociaux, du travail, juridiques, de corruption et de mécontentement populaire à résoudre se sont encore plus exacerbés.   Au cours de ces deux années, les manifestations populaires ont été une constante, certaines même très violentes avec des bâtiments incendiés, et des milliers d’arrestations, dont 600 mineurs, dont les familles pendant quelques jours n’avaient plus de nouvelles.

Saied, après avoir passé l’éponge,  espérant qu’il pourra inverser la tendance, compte tenu des prolongations, de l’annonce d’un référendum populaire pour renouveler la Constitution prévue en juillet, de la promesse d’élections législatives fin 2022, ainsi que de la nomination d’une nouvelle femme Premier ministre, déjà en soi un tournant historique surprenant, voudrait reprendre la politique tunisienne de zéro.  Parmi les dernières actions présidentielles, la décision de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature, considéré comme le siège même de la corruption et de l’impartialité, liée à la politique et vice versa.

Chaque geste de Saïed – qui a été, n’oublions pas, professeur d’université de droit constitutionnel et sans jamais avoir milité en politique (en 2019 il avait battu tous ses adversaires), – est suivi de manifestations pour et contre, alors que les magistrats ont déjà annoncé qu’ils ne quitteraient pas leurs postes.


Chokri Belaïd (au centre) participe à une manifestation contre la violence politique radicale, trois mois et demi avant d’être abattu.
Photo: Manuela Maffioli© (tous droits réservés)

Eh bien, Chokri Belaïd aussi était un homme de droit, avocat et engagé en politique depuis l’époque des études universitaires; et qui sait ce qu’il penserait aujourd’hui de la situation politique dans sa Tunisie, une décennie plus tard – presque – depuis sa mort.  Nous sommes sûrs qu’il ne serait pas surpris; d’autre part, les premiers à être accusés de son assassinat – à la mafieuse, dans le même mode-photocopie de l’assassinat, quelques mois plus tard de l’autre dirigeant politique de l’opposition laïque et de gauche Mohamed Brahmi, avec une dizaine de coups de feu – étaient précisément des sujets appartenant à Ennhadha. C’est la famille de Belaïd, son frère Abdelmajid, son épouse Basma Khalfaoui, également avocate et son père, qui avaient indiqué Ghannouchi et d’autres membres du parti islamiste comme les instigateurs du meurtre. Mais si l’instigateur du meurtre n’est pas encore confirmé, et que le procès est presque immobile car ces dernières années cinq magistrats ont changé pour mener les enquêtes et des dossiers importants ont disparu, le mobile est partagé par tous ceux qui, depuis neuf ans, manifestent chaque mercredi devant le Théâtre Municipal de Tunis – ou à proximité du Ministère de l’Intérieur – pour connaître la vérité et demander justice pour ce meurtre politique annoncé.

Belaïd a été le secrétaire et l’un des fondateurs – quelques mois après le début de la révolution en 2011 – du Mouvement des patriotes démocratiques (MPD), un parti politique qui appelle au marxisme et au panarabisme. Peu de temps après, Belaïd dirigera l’unification du MPD avec le Parti travailliste patriotique et démocratique (PLPD), qui fera partie du Front populaire, une alliance d’un groupe de partis de gauche.

Au moment de l’assassinat, le gouvernement était dirigé par Hamadi Jebali d’Ennhadha, un parti et des politiciens que Belaïd ne cesse de critiquer à travers son parti d’opposition, argumentant de manière transparente et culturellement consciente de ses visions pour ouvrir une voie politique alternative à la Tunisie, et condamnant tout court les nombreux épisodes de violence causés par des militants politiques radicaux dans le pays. Le politicien, laïc et de gauche comme Brahmi, a longtemps reçu des menaces constantes. Il avait reçu le dernier la nuit précédant sa mort.

Après sa mort, une grande et violente manifestation populaire est déclenchée au cours de laquelle plusieurs bureaux d’Ennhadha, dans différentes villes, sont incendiés. Pour le jour de ses funérailles, la grève générale nationale est décrétée par le plus important syndicat ouvrier UGTT.

Le cortège funèbre sera accompagné par environ un million et demi de personnes.


Funérailles de Chokri Belaïd, le 8 février 2013 : de gauche à droite son épouse Basma Khalfaoui, sa fille, le président du barreau de l’époque, Chawki Tabib, le secrétaire général de l’UGTT de l’époque, Houcine Abbassi, et au premier plan le père. Photo: 
Manuela Maffioli© (tous droits réservés)

La mort de Chokri Belaïd n’est pas oubliée et demande la vérité, à tel point que, alors que le président Saïed dissout le Conseil supérieur de la magistrature et s’envole pour Bruxelles pour participer au sommet Union européenne – Union africaine – et que quelqu’un l’avertit ironiquement qu’en son absence de Tunisie un coup d’État pourrait avoir lieu – de France lui vient une lettre de soutien à ses actions contre la négligence des magistrats tunisiens.  L’avocat Philippe de Veulle – avocat des français victimes de l’attentat terroriste de l’État islamique qui a eu lieu au musée du Bardo à Tunis en 2015, où l’on se souviendra de 24 personnes de différentes nationalités sont mortes – cite également dans sa lettre les crimes des deux dirigeants politiques de l’opposition, Belaïd et Brahmi.

Nous rapportons ici dans son intégralité la lettre dans la langue originale tirée des médias sociaux de l’avocat de Veulle, mais également publiée dans les journaux Français et tunisiens:

La presse française relaie les décisions du président tunisien Kaïs Saïed, pour avoir suspendu le Conseil supérieur de la magistrature tunisienne. Au regard du respect d’un processus de la Constitution tunisienne, cela pourrait être interprété comme une violation du droit constitutionnel et de la démocratie.

Or, il semble que le président Kaïs Saïed, souhaite assainir la justice d’éléments complètement infiltrés par le parti islamiste « Ennahdha ». Je salue ici son courage et sa détermination, sachant qu’il est à la fois menacé de l’intérieur et qu’il subit d’importantes pressions de pays tiers, qui ne souhaitent pas la manifestation de la vérité qui pourrait être compromettante.

Le juge d’instruction de l’époque de Tunisie, Béchir Akremi, complètement adoubé par la France et notamment par la justice française, n’a pas fourni tous les éléments sur l’enquête de l’attentat islamiste du Bardo à Tunis (18 mars 2015). Parmi les 22 victimes (de 11 nationalités différentes) de ce sanglant attentat terroriste, il y a eu quatre de nos compatriotes tués dans cet attentat, ainsi que six blessés graves.

En effet, il est reproché au juge d’instruction d’avoir relâché six complices présumés de l’attentat au motif de tortures jamais établies. De nombreux articles et témoignages ont été publiés et produits sur ce dysfonctionnement judiciaire. Mais, cela n’a pas suffi à modifier le cours de l’instruction et le déroulement d’un procès qui a été complètement bâclé…

Je n’ai jamais cessé de dénoncer ces faits d’une très grande gravité commis par un juge en exercice qui se doit d’être indépendant et impartial. Il est aussi accusé d’avoir dissimulé des éléments dans les enquêtes de l’instruction sur des opposants politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés par les islamistes.

À ce titre et en tant qu’avocat de cinq victimes françaises de l’attentat du Bardo, je m’associe à mes Confrères tunisiens du comité de défense de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, dans cette quête de justice et de vérité…

Aussi, j’attends de la part de tous les candidats à la présidence de la République française de s’exprimer sur cette affaire, qui concerne nos quatre victimes et nos six blessés, ainsi que toutes autres victimes, qui ont été humiliées dans cette parodie de procès d’Assises de l’affaire de l’attentat islamiste du Bardo.

Le président Saïed – bien qu’il soit accusé une fois de plus de vouloir amener la Tunisie à la dictature – s’est réservé le droit de nommer lui-même les membres du nouveau Conseil supérieur de la magistrature ; et qui sait s’il ne s’agit pas d’un changement définitif – positif – où la justice peut vraiment suivre son cours honnêtement, sans paresse, sans collusion et sans corruption – et garantir les coupables des crimes politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi à des procès et des condamnations appropriés.

Samedi, 5 mars 2022 – n° 10/2022

Sur la couverture : ‘Skun ktal Chokri? – (trad. ‘Qui a tué Chokri?’) qui a lieu tous les mercredis, depuis neuf ans. Toutes les images sont accordées exclusivement à www.theblackcoffee.eu par Manuela Maffioli© (tous droits réservés)

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